Témoignage de Domingo Bellavista recueilli par F Romero

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Témoignage de Domingo BELLAVISTA 91 ans Combattant Républicain Espagnol OUANNE 89

« J’ai connu deux Républiques, la première quand j’avais 12 ans alors que je travaillais dans une épicerie… Puis la deuxième, mais tu vois bien ce qui s’est passé…

Si cette guerre a été gagnée par Franco, c’est tout simplement parce qu’il avait plus d’appuis et d’armes que nous… Mais bon tout ça tu le sais aussi par ton père.
Nous les Républicains, nous avons une part de responsabilité dans l’échec : nous étions trop divisés entre ceux de l’U.G.T., de la C.N.T., du POUM, des anarchistes de la F.A.I., du parti communiste, du parti socialiste, de la gauche Républicaine….
La « guerre civile », c’est une expression dérangeante parce que Franco s’est servi de soldats d’Hitler, de soldats de Mussolini, de ses troupes militaires de nord du Maroc, et je ne te parle pas du matériel. Même si on dit que nous aussi nous avons été aidés, ce n’est rien à côté de ce que lui a eu.

D’ailleurs tout le monde dit des « troupes nationalistes » pour parler de l’armée de Franco, c’est faux, c’est l’armée des rebelles car c’est lui qui a combattu la République.

Alors voilà, je suis passé dans les Pyrénées par la Tour de Carol et Bourg Madame, et là on a subi beaucoup d’humiliations par ceux qui nous gardaient, qui nous piquaient le jambes et … avec les baïonnettes pour nous piquer les cigarettes et les canifs et… sans te parler de ce qu’on a souffert avec le froid, la faim et pas d’hygiène.

Après j’ai été envoyé au camp de SEPTFONDS puis au fort de Mont Louis qui était là pour « les anarchistes dangereux ».

Aujourd’hui on est là, car je suis arrivé dans l’Yonne. Tous les vendredis soirs on devait se présenter à la kommandantur, on était très surveillés, c’était à Vertilly, près de Sergines. Mais ce qui a fait notre force, à nous les Républicains Espagnols, ici, c’ était notre discrétion, on se croisait on se saluait, mais on ne demandait rien et on ne disait rien de nos activités.

Si nous sommes rentrés dans la résistance, c’est pour deux raisons, car nous ne voulions plus subir Hitler et ses nazis, on voulait se venger pour affaiblir Franco, et aussi parce que notre projet était de récupérer notre République après s’être débarrassé des nazis d’Allemagne et des fascistes d’Italie. Mais le gouvernement français ne nous a pas suivi et a décider de tout arrêter à Perpignan.

Tu sais, dans mon village de Catalogne, à 15 kilomètres de Barcelone, ma photo a été affichée pendant 18 ans après 1939, avec la mention « recherché pour crimes de guerre ». C’est la Croix Rouge qui a permis à ma mère de savoir où je me trouvais.

Quitter son pays par la force c’est une grande douleur !

Aujourd’hui, je suis là, fier de tout ce que j’ai fait, je ne regrette rien, avec ma femme nous avons eu 7 enfants, tous bien élevés, et tous avec une bonne situation. J’ai beaucoup travaillé, j’avais même hypothéqué la maison de ma femme pour acheter la ferme où nous avons bien vécu, j’ai eu jusqu’à 100 hectares et j’employais un ouvrier. Donc je suis content de ma vie, de mon sort, et je suis bien entouré. Dans la vie il faut savoir qu’avec tout ce qu’on a subi si on est encore là, c’est que ce n’était pas l’heure. Tu sais j’ai même eu la tuberculose dans les années 60 et le docteur de Toucy m’a guéri en me forçant à garder le repos et boire de Marsala, il passait même par là pour me surveiller !

Je vais te raconter quelque chose. Nous sommes retournés en Espagne en 1973, l’autre n’était pas encore mort. C’était une proposition de l’instituteur d’ici, Monsieur RAMEAU, c’était un bon instituteur tu sais ! Nous étions tous en pleurs. Quand nous avons passé la frontière et que j’ai vu « la Guardia Civil » j’ai tremblé comme une feuille, puis après le passage je me suis baissé à terre, j’ai embrassé mon sol et j’ai beaucoup pleuré…

Il faut dire aux jeunes que la guerre c’est bon pour rien. Une guerre entre gens d’un même pays c’est la dernière chose à faire ! Mais il faut quand-même faire attention aux acquis Républicains, partout, même en France.

Une prochaine fois je te parlerai du passage des Pyrénées, des camps et ce qui s’est passé pour arriver dans l’Yonne »